La musique carnatique

Shruti a une signification similaire à ton/tonalité en français, ce mot va être utilisé à la fois pour signifier la tonalité d'un morceau mais aussi la justesse de vos notes.

Le Shruti est affirmé par un instrument jouant tonique, quinte et octave sous la forme d'un bourdon (ou drone en anglais), le plus souvent un Tanpura तंबूरा, mais aussi une Shruti box सुरपेटी ou encore un Electronic tanpura इलेक्ट्रॉनिक श्रुतिपेटी (ce dernier servant plutôt à la pratique amateur qu'aux concerts).
Le bourdon peut parfois être accordé différemment, la première corde (la plus aigue) du Tanpura peut varier en fonction du Râga pour devenir une quarte juste ou une seconde majeure à la place de la quinte.

Le choix de la hauteur du Shruti est déterminé principalement par l'instrument ou la tessiture de voix du soliste.
Les voix de femmes ou enfants ont souvent un Shruti compris entre G et Bb,
les voix d'hommes un Shruti compris entre C et Eb,
le Bansurî बाँसुरी (flûte indienne) est beaucoup autour de E,
le violon et le Shehnai शहनाई (hautbois indien) sont souvent autour de D,
le Sarod सरोद (luth indien) autour de C,
le Sitar सितार (luth à manche long indien) souvent en C# ou G#.
Le Shruti peut également parfois être choisi entre deux notes de la gamme chromatique par rapport à un diapason à 440Hz (par exemple entre Eb et E pour le violon).

Les Swaras sont tout simplement les notes, ces notes vont avoir des noms qui ne correspondent pas directement à nos notes occidentales (do ré mi fa sol la si ou C D E F G A B) mais plutôt aux intervalles qu'ils représentent par rapport au Shruti (par exemple le Swara pa correspond à une quinte juste par rapport au Shruti et portera toujours le même nom "pa" alors que sur un Shruti de G il sera un D et sur un Shruti de E il sera un B).

Il existe 7 Swaras de base :
Nom complet abbréviation verbale abbréviation de notation intervalle par rapport au Shruti

Shadjam sa s unisson
Rishabham ri r seconde
Gantharam ga g tierce
Madhyamam ma m quarte
Panchamam pa p quinte
Daivatham da d sixte
Nishadham ni n septième

Ces 7 Swaras se déclinent en 12 pour obtenir la totalité de la gamme chromatique :

Shadjam sa s unisson (invariable)
Shudda Rishabham ri1 r1 seconde mineure
Chatusruthi Rishabham ri2 r2 seconde majeure
Saadarana Gantharam ga2 g2 tierce mineure
Antara Gantharam ga3 g3 tierce majeure
Shudda Madhyamam ma1 m1 quarte juste
Prati Madhyamam ma2 m2 quarte augmentée
Panchamam pa p quinte juste (invariable)
Shudda Daivatham da1 d1 sixte mineure
Chatusrurhi Daivatham da2 d2 sixte majeure
Kaisiki Nishadham ni2 n2 septième mineure
Kaakali Nishadham ni3 n3 septième majeure

Ensuite pour les mêmes raisons qu'en occident on utilise des double dièses et des double bémols c'est à dire ne pas avoir deux fois le même nom de note dans la même gamme, 4 Swaras viennent s'ajouter formant un total de 16 Swaras :

Shudda Gantharam ga1 g1 tierce diminuée (correspond enharmoniquement à r2)
Shatsruthi Rishabham ri3 r3 seconde augmentée (correspond enharmoniquement à g2)
Shudda Nishadham ni1 n1 septième diminuée (correspond enharmoniquement à d2)
Shatshruthi Daivatham da3 d3 sixte augmentée (correspond enharmoniquement à n2)

Donc pour récapituler les 16 Swaras :
sa ri1 ri2(ga1) ga2(ri3) ga3 ma1 ma2 pa da1 da2(ni1) ni2(da3) ni3

Similairement aux signes 8 que l'on peut trouver au-dessus (ottava alta) ou en dessous (ottava bassa) des clés en écriture occidentale, les Swaras peuvent comporter un point au-dessus ou en dessous de leur lettre pour indiquer l'octave.
Pour ce qui est du chant les Swaras descendent rarement durant un même morceau au dessus d'une demi-octave sous s ni ne montent au-dessus d'une demi-octave au delà de ṡ (soit de p̣ à ṗ).

Les Rāgas sont des modes qui ont une forme ascendante Arohana आरोह et une forme descendante Avarohana अवरोहणम्.
Selon la classification créée par Venkatamakhi au XVIIe siècle, il existe 72 Rāgas melakarta (modes parents) pour les Râgas à 7 notes qui peuvent donner des milliers de Rāgas janya (modes enfants/dérivés).
Certains Rāgas janya ont les intervalles qui les composent et/ou des notes omises et/ou les Gamakas गमक (ornements) qui diffèrent selon leur forme ascendante et descendante, les Rāgas melakarta sont quant à eux tous des Sampūrṇa rāgas संपूर्ण (complets) c'est à dire qu'ils utilisent 7 Swaras dans les deux formes.
Certains Râgas peuvent aussi avoir des Swaras sur lesquels insister, des fragments mélodiques à placer ou des patterns dits en "zigzag" à reproduire dans une improvisation.

Les 72 Rāgas melakarta sont numérotés et classifiés par 12 groupes de 6 Rāgas appelés Chakras.

Le Rāga Mayamalavagowla est le 15e Rāga melakarta (Agni Chakra) et est le premier Rāga enseigné aux débutants en musique carnatique probablement car le premier tétracorde Purvanga et le second Uttaranga sont identiques et que les formes ascendantes et descendantes le sont également. Il fait partie des 5 Râgas les plus utilisés.

En voici la structure :
Arohana S R₁ G₃ M₁ P D₁ N₃ Ṡ
Avarohana Ṡ N₃ D₁ P M₁ G₃ R₁ S

Soit en intervalles occidentaux:
T 2m 3M 4j 5j 6m 7M O
Ce qui donne en écriture solfègique avec un Shruti de G :

Le Rāga Śankarābharaṇa de son nom complet Dhīraśankarābharaṇaṃ est le 29e Rāga melakarta (Bana Chakra) et c'est également le premier Rāga enseigné aux débutants dans la branche Hindustani de la musique indienne qui a les mêmes bases que la musique carnatique.
Ce Rāga correspond à notre mode ionien c'est à dire une gamme majeure occidentale jouée sur un bourdon.
Il fait également partie des 5 Rāgas les plus utilisés.

En voici la structure :
Arohana S R₂ G₃ M₁ P D₂ N₃ Ṡ
Avarohana Ṡ N₃ D₂ P M₁ G₃ R₂ S

Soit en intervalles occidentaux:
T 2M 3M 4j 5j 6M 7M O
Ce qui donne en écriture solfègique avec un Shruti de G :

En musique carnatique, le système Graha bhedam est un système équivalent à celui qui nous permet de décliner 7 modes à partir de la gamme majeure, on peut donc obtenir des Rāgas qui ont la même échelle que le Rāga Śankarābharaṇa mais avec une tonique différente.

Śaṃkarābharaṇa #29 équivaut à ionien (Il fait partie des 5 Rāgas les plus utilisés.)
Kharaharapriya #22 équivaut à dorien (Il fait partie des 5 Rāgas les plus utilisés.)
Hanumatodi #8 équivaut à phrygien
Kaḷyāṇi #65 équivaut à lydien (c'est le Râga avec m2 [quarte augmentée] le plus populaire, il represente à lui seul 30% des enregistrements/concerts de Rāgas à quarte augmentée)
Harikambhoji #28 équivaut à mixolydien (qui était justement pas mal utlisé dans le rock psyché des années 1965/1970 pour évoquer l'Inde, Il fait partie des 5 Rāgas les plus utilisés.)
Natabhairavi #20 équivaut à éolien (Il fait partie des 5 Rāgas les plus utilisés.)

Autres équivalences:
Mohana équivaut à la pentatonique majeure

Voici quelques Rāgas plus dépaysants par rapport à la musique occidentale à titre d'exemples :

Le Rāga Hindola est un audava rāga (Râga à 5 notes, ou pentatonique), il correspond à une pentatonique mineure avec sa quinte pour tonique.

En voici la structure :
Arohana S G₂ M₁ D₁ N₂ Ṡ
Avarohana Ṡ N₂ D₁ M₁ G₂ S

Soit en intervalles occidentaux:
T 3m 4j 6m 7m O

Ce qui donne en écriture solfègique avec un Shruti de G :

Ce Rāga ne comporte pas de pa (quinte juste) donc le bourdon/Tanpura va plutôt ici jouer tonique - quarte juste - octave.

Le Rāga Kambhoji est un Rāga janya de Harikambhoji #28, il a ses formes ascendantes et descendantes différentes (pas de septième dans sa forme ascendante).
Il comporte également une sorte de phrase conclusive imposée appelée makutam.

En voici la structure :
Arohana S R2 G3 M1 P D2 Ṡ
Avarohana Ṡ N2 D2 P M1 G3 R2 S
Makutam N3 P D2 Ṡ


Soit en intervalles occidentaux:
ascendant : T 2M 3M 4j 5j 6M O
descendant : O 7m 6M 5j 4j 3M 2M T
phrase conclusive : 7M 5j 6M O

Ce qui donne en écriture solfègique avec un Shruti de G :

Le Rāga Bhairavi est un Rāga janya de Natabhairavi #20, il a ses formes ascendantes et descendantes différentes (sixte majeure dans sa forme ascendante et sixte mineure dans sa forme descendante).

En voici la structure :
Arohana S R₂ G₂ M₁ P D₂ N₂ Ṡ
Avarohana Ṡ N₂ D₁ P M₁ G₂ R₂ S

Soit en intervalles occidentaux:
T 2M 3m 4j 5J 6M 7m O (dorien)
O 7m 6m 5j 4j 3m 2M T (éolien)

Ce qui donne en écriture solfègique avec un Shruti de G :

Il existe également des formes différentes des rāgas appelées Nottuswaras, il s'agit de 39 compositions basées sur le Rāga Śankarābharaṇa (notre gamme majeure occidentale) et inspirées de la musique occidentale, on y retrouve des airs rappelant des comptines ou airs traditionnels européens et même l'hymne anglais !

Les Gamakas sont un ensemble d'effets/ornements qui sont vraiment la composante la plus caractéristique de la musique indienne par rapport à la musique occidentale.
Avec l'expérience on constate que ri (seconde) et da (sixte) sont les Swaras qui comportent le plus souvent des Gamakas mais ceux ci vont principalement dépendre des règles imposées par chaque Rāga.
D'une manière générale la musique indienne a tendance à traîner sur les Gamakas et donne moins d'importance à la note visée (parfois on ne s'arrête même pas sur celle-ci) alors que la musique occidentale utilise les effets et ornements pour mettre en valeur la note visée qui a souvent une valeur pleine.
Ci-dessous quelques Gamakas à titre d'exemple, attention la frontière entre certains d'entre eux peut être floue et certains noms peuvent varier en fonction de la région de l'Inde où vous vous trouvez.

Le Kampita est l'équivalent du vibrato en musique occidentale, il peut aller d'une très légère oscillation similaire à un vibrato de violoniste classique à une oscillation à la note suivante de la gamme. Sachant que certains intervalles composant les Swaras conjoints d'un Rāga peuvent être des tierces, des quartes, etc, cela donne parfois des oscillations entre deux notes assez éloignées qui sont peu communes dans la musique occidentale et sont quasi exclusives à la musique indienne.
La vitesse d'oscillation du Kampita peut aussi varier et prendre une dimension rythmique.
Le Kampita comporte plusieurs sous-variétés mais nous n'allons pas entrer dans les détails.
Certains passages rapides de Râgas sont joués entièrement en Kampita.
Symbole du Kampita:

Le Jaaru ou Ullasita ou meend est un glissendo qui peut être ascendant (Etra jaru) ou descendant (Irakka jaru), il apparaît assez souvent au début d'une seconde note en partant de la note précédente (comme si la voix ou l'instrument était resté coincé sur la note précédente et se rétablissait sur la seconde note pendant les premières millisecondes de celle-ci et ce même si il y a eu un silence parfois long entre les deux notes), il peut aussi simplement lier deux notes ou être utilisé lors d'une double appogiature.

Les deux symboles du Jaaru:

Le Janta ou Sphurita est une technique qui consiste lorsque l'on a consécutivement deux fois la même note à jouer, à jouer la seconde note en partant de la note précédente de la gamme pour tout de suite atteindre la note visée (un peu comme une grace note ou Acciaccatura inférieure).

Les Talas forment la structure rythmique de la musique carnatique, les pulsations sont généralement comptées/battues avec les doigts, le plat et le dos de la main et leurs subdivisions grâce à un système vocal appelé Konnakol.

Il existe 6 variations possibles pouvant former un Tala :
- Laghu (symbole : I) peut avoir un nombre de pulsations variables.
- Dhrutham (symbole : 0) toujours deux pulsations, plat de la main puis revers de la main.
- Anudhrutam (symbole : U) toujours une pulsation, plat de la main.
Les suivantes sont moins utilisées:
- Guru (symbole : 8) 8 pulsations, plat de la main, point fermé qui tourne en sens horaire.
- Plutam (symbole : 3) 12 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, 4 main à gauche, 4 main à droite.
- kakapadam (symbole : X) 16 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, 4 main en haut, 4 main à gauche, 4 main à droite..

Voici les 7 structures basiques de Talas appelés Suladi Sapta Talas:
- Dhruva I0II
- Matya I0I
- Rupaka 0I
- Jhampa IU0
- Triputa I00
- Ata II00
- Eka I

Pour ce qui est du Sharanga à pulsation variable appelé Laghu (symbole : I) il va dépendre du nombre de Jahtis (pulsations ) prédéfini, voici les 5 variations de Jahtis:
- Tisra Jahti : 3 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire.
- Chaturasra Jahti : 4 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur.
- Khanda Jahti : 5 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, index.
- Misra Jahti : 7 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, index, pouce, auriculaire.
- Sankeerna Jahti : 9 pulsations, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, index, pouce, auriculaire, annulaire, majeur.

Les Jahtis (pulsations) sont subdivisés en 5 types de Gahtis aussi appelés Nadais (subdivisions de la pulsation ou Akshara), cette fois le système pour les solfier est vocal et s'appelle le Konnakol :
- Tisra Gahti : 3 subdivisions, "ta ki ta".
- Chaturasra Gahti : 4 subdivisions, "ta ka di mi"
moins fréquents:
- Khanda Gahti : 5 subdivisions, "ta di gi na tom".
- Misra Gahti : 7 subdivisions, "ta ka di mi ta ki ta" (4 + 3).
- Sankeerna Gahti : 9 subdivisions, "ta ka di mi ta di gi na tom" (4 + 5).

Deux subdivisions sont considérées comme une moitié de Chaturasra Gahti et seront donc solfiées "ta ka".

Il semble y avoir deux écoles de Konnakol où d'un côté on va faire principalement des combinaisons entre "ta ka", "ta ki ta" et "ta ka di mi" pour obtenir tous les Ghatis possibles et de l'autre côté remplir les Ghatis supérieurs à 5 avec "ta ka di mi" puis ajouter un autre Ghati plus petit pour avoir le compte.

En général le Tala qui va venir se combiner au Rāga est annoncé sous cette forme :
Tisra Jahti Drhuva Tala Khanda Nadai
Nous sommes donc sur un tala Dhruva (forme I0II, c'est à dire Laghu, Dhrutham, Laghu, Laghu) avec un Tisra Jahti donc les Laghus vont faire 3 pulsations, le Gahti / Nadai est un Khanda Gahti c'est à dire 5 subdivisions par pulsation ce qui nous fait un tala à 11 pulsations subdivisées en 5.
Donc la façon de solfier avec les mains va être :
Plat de la main, auriculaire, annulaire, plat de la main, revers de la main, plat de la main, auriculaire, annulaire, plat de la main, auriculaire, annulaire.

Second exemple:
Misra Jahti Ata Tala Chaturasra Nadai
Nous sommes donc sur un tala Ata (forme II00, c'est à dire Laghu, Laghu, Dhrutham, Dhrutham) avec un Misra Jahti donc les Laghus vont faire 7 pulsations, le Gahti / Nadai est un Chaturasra Gahti c'est à dire 4 subdivisions par pulsation ce qui nous fait un tala à 18 pulsations subdivisées en 4.
Donc la façon de solfier avec les mains va être :
Plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, index, pouce, auriculaire, plat de la main, auriculaire, annulaire, majeur, index, pouce, auriculaire, plat de la main, revers de la main, plat de la main, revers de la main.

Certains Talas très utilisés ont des noms beaucoup plus courts/simplifiés, par exemple Chatusra jāti Tripuṭa Tālam (4 + 2 + 2) s'appelle Adi Tala.

Il existe également des formes plus simples que les talas basées uniquement sur les nadais appelées Chakus, par exemple Misra Chaku serait juste un 7/8.