Pour en finir avec les tablatures

L'argument qui pour moi "plie le game" c'est de rappeler que tout cours d'instrument construit avec sérieux doit comporter une étude méticuleuse du rythme et donc de l'ensemble des figures rythmiques existantes, or ce travail rythmique prend beaucoup plus de temps que d'apprendre à lire les notes sur la partition solfégique. C'est pourquoi penser "gagner du temps" en se passant de l'écriture solfégique est complètement idiot car la majeure partie du temps d'apprentissage va de toute façon être passée sur l'étude du rythme alors qu'apprendre à reconnaître et situer les notes sur la partition n'ajoutera que très peu à votre fardeau d'apprenant si vous le faites en même temps.

Ne nous voilons pas la face, l'argumentaire pro tablatures est principalement développé par des débutants qui ont la flemme, des profs qui ont peur d'avoir moins d'élèves, des éditeurs de partitions qui ont peur de vendre moins.
S'il est vrai que beaucoup de gens qui n'y connaissent rien se dirigent vers la guitare ou la basse "parce qu'il n'y a pas les notes donc c'est plus facile" et pas parce qu'ils aiment vraiment l'instrument, beaucoup de ces gens abandonnent dans les 3 ans, entre temps, ils ont acheté des instruments et des partitions, ce qui a fait tourner l'industrie, peut-être pris des cours, ce qui a permis à des profs dont le but premier n'est pas de permettre à leurs élèves d'aller loin (t'as vu comment j'ai dit ça poliment ?) de gagner leur vie, donc ces gens avec une motivation "bof bof", qui moi ne m'intéressent pas du tout sont une poule aux œufs d'or pour certaines personnes.
C'est parti pour les affirmations pro tablatures :

Les premières tablatures datent du XVe siècle donc ça n'a rien de nouveau.
Si les tablatures permettent effectivement à des musiciens débutants de jouer grossièrement un morceau en faisant office de tutoriel, sur le long terme elles ne permettent pas d'évolution quant au temps mis à maitriser un morceau contrairement à la lecture sur la partition solfègique où votre niveau de lecture / déchiffrage va constamment évoluer avec la pratique.
Tout dépend si vous voulez évoluer en tant que musicien et être fier de ce que vous avez accompli ou être l'équivalent guitaristique de cette mamie qui aura toujours besoin de lire ses tutoriels sur post-it juste pour ouvrir sa boîte courriel.

La pratique contredit cette affirmation :
- La majeure partie des gens une fois un niveau moyen atteint sur l'instrument vont avoir énormément de mal psychologiquement à quitter la tablature et débuter la lecture sur partition car la démarche va être perçue à tort comme un retour en arrière.
- L'idée que comme la plupart des partitions de guitare ou basse comportent une ligne solfégique et une ligne en tablatures il suffit d'ignorer la partie tablatures pour progresser en lecture solfégique est trompeuse car en cas de petite hésitation sur un doigté ou une position sur le manche les gens vont avoir tendance à regarder la tablature au lieu de réfléchir et donc vont entraver leur propre progression en lecture. Ce choix de doigtés et de positions sur le manche que doit progressivement développer le musicien lecteur (et dont le travail est complètement mâché par la tablature) fait pour moi partie de l'intelligence de jeu qui va également faire part de votre niveau en tant qu'improvisateur / soliste.
Du moment que vous vous mettez à travailler la lecture solfégique, il faut impérativement masquer toutes les tablatures pour faire de vrais progrès.
J'ai dû moi même rattraper un certain niveau en lecture solfègique en entrant au conservatoire et c'était l'enfer, j'avais beau y passer des heures, le cerveau n'assimile malheureusement qu'une quantité limitée d'informations par jour, c'est pourquoi il vaut mieux s'y prendre de longue haleine pour plus de confort et si possible commencer tout de suite par la lecture solfégique apprise directement sur l'instrument comme je le fais pour mes cours.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, l'idée qu'il y puisse y avoir deux systèmes dont un qui va limiter les gens, une sorte de classe SEGPA de la guitare ou basse mais surtout que des gens choisissent directement de se mettre dans cette voie de garage parce qu'ils ont zéro ambition m'horrifie en tant que prof.
De temps en temps on peut avoir un élève qui ne bossait pas trop qui se met subitement en route et prend un bon rythme de travail, si il est dans un cours "pour s'amuser" avec des tablatures il va maintenant être limité par le cours, par contre si il est dans un cours où le but est d'apprendre son instrument en allant le plus loin possible il va pouvoir progresser plus vite et constater / profiter du fruit de son travail.
Mais bon d'expérience on sait tous que les gens qui sortent des phrases de ce type ne souhaitent pas vraiment apprendre à jouer de leur instrument, ils jouotent.

Cette affirmation est souvent fausse (comme celle de certains musiciens n'ayant jamais pris de cours alors qu'un de leur parents était prof ou très bon musicien ce qui équivaut à des cours H24), il y a par exemple la méconnue feuille de brouillon de Paul McCartney de 1966 avec un embryon de morceau / arrangement écrit en clé de sol et de fa qui ne colle pas trop avec le fait qu'on le présente comme non lecteur.
Après, bien sûr que certains musiciens n'étaient pas lecteurs mais j'ai envie de vous dire on est en 2025 pas en 1960 et il y a maintenant des gens comme moi qui ont élaboré des méthodes pour apprendre l'instrument et la lecture solfégique en même temps.

Je ne sais pas pourquoi les gens séparent les choses en strictement à l'oreille ou strictement par tablatures ou partitions alors que l'oreille fait partie du triptyque oreille / mémoire / faculté à déchiffrer la partition qui permet d'assimiler correctement un morceau, chaque personne ayant un niveau différent dans les trois et compense avec la faculté avec laquelle il est le plus à l'aise.
Bien souvent les gens qui se vantent de tout faire à l'oreille, "au feeling" et dénigrent la notation n'ont pas un niveau instrumental très élevé et quelques fois le niveau d'oreille musicale et de placement rythmique n'est pas fameux non plus.
Il existe des communautés ethniques qui apprennent par tradition orale mais ne dénigrent pas pour autant la notation et sont plutôt fiers quand l'un d'entre eux maîtrise la lecture solfégique au point d'être capable de pouvoir se produire avec un orchestre symphonique.
Le feeling / l'oreille et la notation ne sont pas à mettre en opposition mais forment plutôt un tout quand la méthode d'apprentissage est correctement construite.

La tablature ne donne pas de doigtés, elle donne juste les cases où jouer les notes. D'ailleurs ces cases sont succeptibles de ne pas être les bonnes selon la qualité de la tablature et surtout le niveau du musicien qui l'a réalisée (et c'est également valable pour les partitions qu'on peut acheter dans le commerce).

La partition solfégique dispose d'un système pouvant indiquer la position sur le manche en chiffres romains (emplacement du 1er doigt) qui permet de déduire logiquement les doigtés, le doigt à utiliser lorsque ce n'est pas un doigté habituel (chiffre arabe) et plus rarement la corde sur laquelle jouer quand le passage est particulièrement acrobatique (chiffre arabe dans un cercle).

Comme beaucoup de profs j'ai commencé à donner des cours de guitare et basse électrique en tablatures et des cours de guitare classique en écriture solfégique, quand j'ai ensuite commencé à travailler en école de musique, j'ai constaté que les programmes de cours pour guitare électrique et basse électrique n'étaient ni cohérents avec les cours de formation musicale obligatoires dans ces écoles, ni très au point, j'ai donc testé pas mal de méthodes, expérimenté pas mal de choses pour améliorer tout ça.
Parallèlement à ça j'ai pu constater qu'en moyenne mes élèves de guitare classique à la fois restaient plus longtemps, allaient plus loin dans l'apprentissage et devenaient plus vite indépendants du prof. L'ensemble de ces constats ajouté au fait que même les tablatures "officielles" de groupes rock achetées dans le commerce pouvaient comporter des énormes erreurs m'ont poussé à commencer moi même un travail de transcription du répertoire rock entièrement en écriture solfégique. Au fur et à mesure que mon répertoire de transcriptions correctement faites grandissait, mes élèves se sont vus imposer de plus en plus de morceaux du répertoire rock à travailler en lecture solfégique et de moins en moins en tablatures.

Pour le prof que je suis, hormis tout le travail que ça m'a demandé, j'ai pu constater un changement de public, on perd clairement une grande partie des élèves ados moyennement motivés qui de toute façon restent grand maximum trois années et n'atteignent pas un niveau folichon au profit d'adultes de tous âges beaucoup plus sérieux.

J'ai pu constater que les élèves restent en moyenne plus longtemps, donc on peut leur transmettre plus de savoir, mais surtout qu'ils atteignent un niveau beaucoup plus élevé sur leur instrument. (c'est quand même plus sympa pour un prof 🙂)

Par rapport au tablatures, il y a pas mal d'avantages:
- Le développement de l'oreille : À force de lire des partitions correctement retranscrites vous arrivez avec le temps à entendre intérieurement comment le passage va sonner sans utiliser votre instrument.
- L'analyse théorique : Reconnaître les intervalles sur la partition est assez facile si ça vous a été correctement enseigné et ça peut vous aider à analyser et comprendre une composition sans toucher à votre instrument, d'ailleurs les accords peuvent paraître difficiles à déchiffrer au début mais on s'habitue vite.
- La partition solfégique étant le système de notation le plus employé, vous pouvez écrire des partitions pour d'autres musiciens (cuivres, violons, etc.), lire des partitions de classique, de jazz, vous ouvrant le champ des possibles.
- La partition solfégique est aussi un système de notation beaucoup plus précis que la tablature, d'ailleurs pour que la tablature soit utilisable on est souvent obligé d'y adjoindre une portée de solfège.
- Comme je l'ai déjà écrit plus haut, votre niveau de déchiffrage ne fait que progresser avec le temps et vous permet d'apprendre les morceaux de plus en plus vite alors que travailler un solo difficile en tablatures vous prendra toujours autant de temps avec les années qui passent.
- Le développement de l'intelligence de jeu : La notation solfégique vous force parfois à chercher des doigtés plus confortables ailleurs sur le manche et donc contribue à votre connaissance du manche.